Quatuor de Jazz Libre du Québec

Jean Préfontaine et Yves Charbonneau lors d’une Journée de la poésie sur la rue Notre-Dame à Montréal (photographe inconnu, 1972). Source : Fonds Ministère de la Culture et des Communications, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

« L’improvisation, c’est dû à tout le monde ça. Tu l’as quand tu viens au monde. Tu improvises quand tu viens au monde, quand tu ne sais pas parler, quand tu apprends à marcher … ? Tu cherches ; tu trouves. On fait le même criss de trip, on cherche notre vibration au Québec. On essaye de la trouver à travers une improvisation jusqu’à tant qu’on découvre notre culture québécoise. »

Yves Charbonneau


PRÉFACE
Éric Normand (Tour de bras)

Le Quatuor de jazz libre du Québec, le Jazz libre du Québec, le Quatuor du nouveau jazz libre du Québec, le Nouveau quatuor de jazz libre du Québec, le Rock libre du Québec et le Jazz libre ; autant de patronymes pour désigner un groupe à la fois mythique et méconnu, une aventure unique dans l’histoire de la musique d’ici, témoignant d’une époque où les mouvements hippies et beatniks influencent la culture québécoise et où les luttes pour les droits civiques, les mouvements de décolonisation et l’opposition à la guerre du Vietnam inspirent une ferveur populaire extraordinaire.

Fondé en 1967, le Jazz libre du Québec (JLQ) est l’expression québécoise de la « new thing », de la « great black music » contestataire américaine, celle du « nègre blanc d’Amérique » et, surtout, celle du Québec libre, deux mots scandés par le général de Gaulle durant cette même année. En les réunissant dans son nom, le groupe ne manque pas de frapper l’imaginaire et de faire de sa musique la trame sonore symbolique d’une époque … d’une utopie ; celle d’un Québec indépendant et socialiste.

Mais le JLQ est beaucoup plus qu’une fanfare révolutionnaire.

Même si peu de gens à l’époque savent vraiment ce que sont la musique et les revendications du JLQ, tous sont conscients que le groupe existe et que son nom résonne comme l’écho de la liberté du peuple québécois, l’écho du « Vive le Québec libre ».

Il nous semble improbable aujourd’hui qu’un groupe de free jazz devienne célèbre et sillonne les routes du Québec durant les années 1960 et 1970, de terrains de camping en écoles, pour ensuite presque disparaître de la mémoire collective. À l’époque, on en parle dans les journaux généralistes comme Le Devoir ou La Presse. On voit le groupe sur la scène de la Place des Arts, à la Nuit de la poésie ou aux côtés de Charlebois-la-pop-icon.

À la fin des années 1960, le JLQ fait paraître un album éponyme (réédité par Return to Analog en 2018) sur lequel on retrouve des compositions inspirées par la musique des jazzmen américains des plus innovateurs. Ces pièces sont toutefois encore ancrées dans le « swing ». Elles sont plus proches des mélodies sinueuses d’Ornette Coleman que du cri d’Albert Ayler, à l’exception d’une pièce plus expérimentale signée Guy Thouin. Il s’agit du seul disque du JLQ.

Rapidement, le groupe se concentre sur une pratique de l’improvisation libre plus expérimentale exacerbée par la présence d’invités, comme le violoncelliste américain Tristan Honsinger.

Cette musique, que le groupe ne cesse d’approfondir entre 1970 et 1975, est peu diffusée et donc très peu entendue. La trame sonore du film de Jean-Claude Labrecque, Claude Gauvreau – poète (ONF), et celle du vidéogramme de Pierre Monat, Y’a du dehors dedans (Vidéographe), restent longtemps les documents les plus tangibles.

C’est seulement en 2011 que l’intensité et la cohésion de la dernière période du groupe sont remises à l’ordre du jour par la sortie, sous l’étiquette Tenzier, d’un disque 33 tours reproduisant une séance d’improvisation époustouflante enregistrée par le groupe au Studio 13 de Radio-Canada le 13 mai 1973. D’autres extraits servent ensuite pour la trame sonore du film Sur les traces d’Arthur de Saël Lacroix.

Les concerts que nous vous présentons dans ce coffret sont le résultat d’un long épluchage de 109 rubans audio ¼ de pouce. Les choix ont été faits en fonction de l’exemplarité des improvisations du groupe, de la qualité des enregistrements, de leur pertinence historique et de l’intégralité des archives. Grâce à ces documents, nous souhaitons proposer un regard plus éclairant sur l’histoire des musiques libres du Québec.

Nous avons choisi la période 1971-1974 entre autres à cause de la qualité moindre des enregistrements de la période précédente. C’est également, voire surtout, au début des années 1970 que correspond la réalisation de trois importants projets de « musique-politique » initiés par le JLQ, soit ; la commune Petit Québec libre, la tournée réalisée dans le cadre du Programme des initiatives locales et la boîte expérimentale l’Amorce.

À travers ces trois projets, ainsi qu’à travers les « lieux » auxquels ils se rattachent, nous vous proposons de découvrir le groupe de l’intérieur pour ainsi mieux saisir ses aspirations sociales et leur ancrage dans l’improvisation et la création collective.

Avec cette anthologie, nous souhaitons mettre en valeur et rendre disponible l’œuvre d’artistes exceptionnels, mais également proposer une première contribution sur un pan de l’histoire de la musique canadienne qui reste à écrire : celui des pratiques de l’improvisation.

Nous dédions ce coffret à la mémoire de Raymond Gervais, qui fut l’un des rares commentateurs et passionnés des nouvelles musiques au Québec.

Et à John Heward, artiste-improvisateur devant l’éternel.

Nous tenons à remercier le Conseil des Arts et des Lettres du Québec, grâce à qui nous avons pu numériser et mettre en valeur ces archives.